Publié le 12 mars 2024

Choisir un matériau durable au Québec ne se résume pas à une étiquette « verte », mais à une analyse rigoureuse de sa performance sur des décennies.

  • L’énergie grise (extraction, transformation) est souvent l’impact majeur caché d’un matériau.
  • La fin de vie d’un matériau doit être planifiée dès la conception pour éviter de créer des déchets irrécupérables.
  • Les Déclarations Environnementales de Produit (DEP/EPD) sont l’outil essentiel pour comparer les options de manière objective.

Recommandation : Exigez la transparence radicale des fabricants et utilisez l’ACV comme un outil d’arbitrage multicritère, et non comme une simple note.

Dans le monde de la construction, les termes « vert », « écologique » ou « naturel » sont partout. Ils ornent les emballages et les fiches produits, promettant une conscience tranquille à ceux qui bâtissent. Pourtant, ces affirmations cachent souvent une réalité plus complexe. Un matériau peut être naturel, mais son extraction et son transport peuvent consommer une énergie considérable. Un autre peut être recyclable, mais uniquement au prix d’un processus industriel lourd. Pour le concepteur ou le propriétaire soucieux de l’impact réel de ses choix au Québec, ces étiquettes marketing sont devenues une source de confusion plutôt qu’une aide à la décision.

La tentation est grande de se fier à des règles simplistes : privilégier le bois, éviter le béton, chercher le sceau « recyclé ». Mais ces raccourcis intellectuels nous éloignent de la véritable durabilité. Comment comparer objectivement l’impact d’une structure en bois d’ingénierie venant de l’Abitibi à celle d’une structure en béton produite à Montréal avec de l’hydroélectricité ? La réponse ne se trouve pas sur une étiquette, mais dans une méthodologie scientifique rigoureuse : l’Analyse du Cycle de Vie (ACV).

Loin d’être un simple score, l’ACV est une démarche d’investigation. C’est un scanner qui examine un matériau sous toutes ses coutures, de l’extraction de ses matières premières (« le berceau ») jusqu’à sa démolition et son éventuel recyclage (« la tombe »). Cet article se propose de vous doter des clés de cette méthode. Il ne vous donnera pas une liste de « bons » et de « mauvais » matériaux, mais quelque chose de bien plus puissant : une grille d’analyse pour opérer un arbitrage multicritère éclairé, transformer une obligation écologique en stratégie et faire des choix dont la durabilité est une certitude scientifique, et non une promesse marketing.

Pour naviguer dans cet univers complexe mais essentiel, nous allons décortiquer ensemble les fondements, les outils et les applications concrètes de l’Analyse du Cycle de Vie, en l’ancrant spécifiquement dans le contexte réglementaire, climatique et industriel du Québec.

Du berceau à la tombe : les 5 étapes du cycle de vie qui déterminent l’impact réel d’un matériau

Pour évaluer correctement un matériau, il est impératif de cesser de le considérer comme un objet statique. L’ACV nous force à le voir comme un processus dynamique, une histoire qui se déroule en plusieurs actes. Chaque étape, de l’extraction des ressources brutes à la gestion des débris post-démolition, génère des impacts environnementaux : émissions de gaz à effet de serre, consommation d’eau, pollution de l’air, etc. Comprendre cette séquence est le fondement de toute analyse sérieuse.

La méthodologie, standardisée au niveau international (notamment par les normes ISO 14040 et 14044), décompose ce parcours en cinq phases distinctes. Omettre l’une d’entre elles revient à regarder un film en sautant des chapitres cruciaux : on risque de passer à côté de l’essentiel et de tirer de mauvaises conclusions. La véritable performance dynamique d’un matériau se révèle uniquement lorsqu’on considère l’ensemble de son existence.

Visualisation des cinq étapes du cycle de vie des matériaux de construction du berceau à la tombe

Ces étapes forment la structure de toute ACV rigoureuse, permettant de quantifier et de comparer les impacts de manière cohérente :

  • Phase de production (A1-A3) : Elle couvre l’acquisition des matières premières (ex: abattage du bois, extraction du sable et du gravier), leur transport vers l’usine, et la fabrication du produit final (ex: panneau de bois lamellé-croisé, sac de ciment).
  • Phase de construction (A4-A5) : Cette étape inclut le transport du produit manufacturé jusqu’au chantier, ainsi que l’énergie et les ressources consommées lors de son installation dans le bâtiment.
  • Phase d’utilisation (B1-B7) : C’est la plus longue phase. Elle englobe non seulement l’usure normale, mais aussi la maintenance, la réparation, le remplacement de composantes, ainsi que les consommations d’énergie et d’eau liées à la présence du matériau dans l’ouvrage.
  • Phase de fin de vie (C1-C4) : Lorsque le bâtiment est déconstruit, cette phase mesure l’impact de la démolition, du transport des déchets, de leur traitement (tri, mise en décharge) et de leur élimination finale.
  • Bénéfices et charges au-delà du système (D) : Cette phase optionnelle mais cruciale quantifie le potentiel de réutilisation, de recyclage ou de récupération d’énergie des matériaux après leur première vie. C’est ici que l’on mesure la valeur d’une bonne intelligence de fin de vie.

En adoptant cette vision complète, des projets québécois comme la Maison du développement durable ont pu analyser en profondeur leurs impacts, révélant que les choix structuraux entre béton et bois, par exemple, ont des conséquences très différentes selon l’étape du cycle de vie que l’on examine.

L’énergie grise : la face cachée de vos matériaux de construction

Parmi tous les impacts mesurés par l’ACV, l’un des plus importants et des plus méconnus est l’énergie grise. Il s’agit de la quantité totale d’énergie nécessaire pour produire et amener un matériau jusqu’au chantier. Elle représente la dette environnementale initiale d’un matériau, avant même qu’il ne commence sa vie utile dans le bâtiment. Cette énergie cachée inclut tout : l’extraction des matières premières, leur transformation en usine, les différents transports entre les sites, et même l’emballage.

Ignorer l’énergie grise est une erreur fondamentale, car elle peut représenter une part très significative de l’empreinte carbone totale d’un bâtiment sur toute sa durée de vie. Selon Écohabitation, un organisme de référence au Québec, le béton est l’un des grands émetteurs de CO2 de la province, précisément parce que sa fabrication a une très forte intensité énergétique. Se concentrer uniquement sur la performance énergétique du bâtiment en phase d’utilisation (le chauffage, l’éclairage) sans considérer l’énergie grise des matériaux qui le composent, c’est ne voir qu’une partie du problème.

L’origine de l’énergie utilisée pour la fabrication est un facteur déterminant. Le contexte québécois, avec son mix énergétique dominé par l’hydroélectricité, offre un avantage considérable. Produire un matériau énergivore au Québec aura un impact carbone bien moindre que de produire le même matériau en Alberta, où le mix repose largement sur les énergies fossiles. C’est un élément clé dans l’arbitrage.

Le tableau suivant, basé sur des données du gouvernement du Québec, illustre parfaitement cette réalité. Il montre comment l’impact d’une tonne d’aluminium ou de béton varie drastiquement selon le lieu de production, une preuve tangible que « local » ne veut rien dire sans considérer la source de l’énergie.

Comparaison de l’impact de l’énergie grise selon le mix énergétique
Matériau Production au Québec (hydroélectricité) Production en Alberta (énergies fossiles) Différence d’impact
Aluminium (1 tonne) Faible énergie grise Énergie grise élevée +60% d’émissions
Béton Impact modéré Impact élevé +40% d’émissions
Bois d’ingénierie Très faible impact Faible impact +15% d’émissions

Cette analyse, issue de données fournies par le ministère de l’Environnement du Québec, démontre qu’un choix éclairé doit absolument tenir compte du contexte énergétique local de fabrication.

Ainsi, l’analyse de l’énergie grise nous oblige à poser des questions plus pointues : non pas « quel matériau ? », mais « quel matériau, produit où, et avec quelle énergie ? ». C’est l’un des premiers pas vers une véritable expertise en écoconception.

Que deviendront les ruines de votre maison ? Penser à la fin de vie des matériaux dès la construction

L’ultime étape du cycle de vie, la fin de vie, est souvent la grande oubliée de la conception. Pourtant, la manière dont un bâtiment sera déconstruit et dont ses composants seront gérés a un impact environnemental et économique majeur. Une conception qui ignore cette phase crée une bombe à retardement de déchets. Au Québec, le constat est sévère : Recyc-Québec estimait en 2017 que les résidus issus de la construction, de la rénovation et de la démolition représentaient 30% des produits dans les dépotoirs et plus de 66% des matières reçues dans les écocentres. Un chiffre colossal qui témoigne d’un immense gaspillage de ressources.

L’approche de l’ACV nous incite à adopter une intelligence de fin de vie dès la planche à dessin. Cela signifie privilégier des stratégies comme la conception pour la déconstruction (Dfd), qui favorise des assemblages mécaniques (boulons, vis) plutôt que des adhésifs permanents, permettant de séparer proprement les matériaux en fin de parcours. Cela implique aussi de choisir des matériaux pour leur potentiel de réemploi ou de recyclage à haute valeur.

Le réemploi direct est la stratégie la plus vertueuse. Comme le souligne une analyse du portail Voir vert, spécialisé dans le bâtiment durable au Québec :

Il s’agit de la stratégie d’approvisionnement en matériaux la moins énergivore, les produits étant déjà dans leur forme optimisée, à forte valeur ajoutée.

– Voir vert – Le portail du bâtiment durable, Article sur la réutilisation directe des matériaux de construction

Cette approche est mise en pratique avec succès par des initiatives québécoises. Elles démontrent que l’économie circulaire dans la construction n’est pas une utopie, mais une réalité opérationnelle et économique.

Étude de cas : RÉCO et l’économie circulaire à Montréal

L’entreprise d’économie sociale RÉCO, en partenariat avec Architecture sans frontières Québec, incarne parfaitement cette philosophie. Dans son centre de réemploi de 10 000 pieds carrés à Montréal, elle récupère, valorise et revend des matériaux et composantes de construction de qualité : bois de charpente, portes, fenêtres anciennes, bains sur pattes, éviers, boiseries, etc. En offrant une seconde vie à ces matériaux, RÉCO détourne des tonnes de déchets des dépotoirs tout en proposant des produits de qualité à prix abordable, prouvant que la durabilité peut rimer avec accessibilité.

En fin de compte, penser à la fin de vie, c’est transformer la notion de « déchet » en celle de « ressource en transition ». C’est un changement de paradigme fondamental pour quiconque souhaite construire de manière véritablement responsable.

FDES et EPD : le « Nutri-Score » environnemental des matériaux de construction enfin décodé

L’Analyse du Cycle de Vie est une méthodologie, mais comment un concepteur peut-il accéder à ses résultats de manière fiable et comparable ? La réponse se trouve dans des documents standardisés : les Fiches de Déclaration Environnementale et Sanitaire (FDES) en France, et leur équivalent international, les Environmental Product Declarations (EPD), appelées Déclarations Environnementales de Produit (DEP) au Québec et au Canada.

Une EPD/DEP est la carte d’identité environnementale d’un produit de construction. C’est un rapport transparent, vérifié par une tierce partie indépendante, qui présente les résultats d’une ACV complète pour ce produit spécifique, de l’extraction des matières premières (A1) jusqu’à la fin de vie (C4) et même le potentiel de recyclage (D). Pour le concepteur, c’est l’outil ultime pour sortir du flou marketing et pratiquer un arbitrage multicritère basé sur des données quantitatives. Il permet de comparer deux produits de même fonction (ex: deux types d’isolants) sur une base objective.

Décryptage visuel des étiquettes environnementales EPD et FDES pour les matériaux de construction

Plutôt que de se fier à une allégation vague comme « bon pour la planète », une EPD fournit une série d’indicateurs précis, dont les plus importants sont :

  • Potentiel de Réchauffement Global (PRG) : L’empreinte carbone du produit, exprimée en kg de CO2 équivalent. C’est l’indicateur le plus connu.
  • Potentiel d’Acidification : La contribution du produit aux pluies acides.
  • Potentiel d’Eutrophisation : L’impact sur la prolifération d’algues dans les milieux aquatiques.
  • Consommation d’énergie primaire : La quantité totale d’énergie (renouvelable et non renouvelable) consommée.
  • Consommation d’eau : Le volume d’eau douce utilisé tout au long du cycle de vie.

Savoir où trouver et comment utiliser ces documents est une compétence essentielle. L’exigence de la transparence radicale passe par la demande systématique de ces déclarations aux fabricants.

Votre feuille de route pour trouver et utiliser les EPD au Canada :

  1. Consulter les bases de données : Explorez l’Athena Sustainable Materials Institute, une référence pour les données nord-américaines, ou le site UL Spot qui répertorie de nombreuses EPD de produits vendus au Canada.
  2. Vérifier la conformité : Assurez-vous que les EPD suivent les standards internationaux reconnus (ISO 14040/14044 et EN 15804), ce qui garantit leur comparabilité.
  3. Rechercher des produits spécifiques : Pour certains produits importés d’Europe, la base de données française INIES peut être une source d’information pertinente.
  4. Comparer les indicateurs clés : Ne vous arrêtez pas au carbone (PRG). Analysez aussi l’impact sur l’eau, l’acidification et l’eutrophisation pour une vision complète.
  5. Exiger les documents : Faites de la fourniture d’une EPD vérifiée un critère de sélection auprès de vos fournisseurs. C’est le meilleur gage de leur engagement environnemental.

Cette démarche, bien que rigoureuse, est facilitée par des ressources comme le Conseil Canadien du Bois (CWC), qui guide les professionnels dans l’utilisation de l’ACV et des EPD.

En intégrant les EPD dans votre processus de sélection, vous passez du rôle de consommateur passif à celui d’acteur éclairé du changement dans l’industrie de la construction.

Au-delà de la planète : comment le cycle de vie des matériaux affecte votre santé et celle des travailleurs

L’Analyse du Cycle de Vie ne se limite pas aux impacts environnementaux classiques comme l’empreinte carbone ou la consommation d’eau. Une analyse complète et responsable doit également intégrer les impacts sur la santé humaine, que ce soit celle des occupants du bâtiment ou celle des travailleurs qui extraient, fabriquent et installent les matériaux. Certains matériaux peuvent avoir une faible empreinte carbone mais libérer des composés organiques volatils (COV) nocifs, ou exposer les travailleurs à des risques sanitaires graves durant leur production.

Le Québec a une histoire qui illustre tragiquement ce risque : celle de l’amiante. Autrefois vanté pour ses propriétés ignifuges et isolantes, ce matériau s’est révélé être une cause majeure de maladies respiratoires graves chez les mineurs et les travailleurs de la construction. Cet héritage douloureux a conduit à la mise en place de normes très strictes par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), notamment sur l’exposition à d’autres particules dangereuses comme la silice cristalline, très présente dans les carrières et sur les chantiers de bétonnage.

Leçon apprise : L’héritage de l’amiante au Québec

L’histoire de l’exploitation de l’amiante dans la province est un cas d’école sur les dangers d’une évaluation monofocale d’un matériau. En se concentrant uniquement sur ses performances techniques immédiates, l’industrie a ignoré pendant des décennies les impacts dévastateurs sur la santé des travailleurs tout au long de son cycle de vie (extraction, transformation, installation et démolition). Cette expérience a profondément marqué les réglementations québécoises et souligne l’impératif de considérer la toxicité et la sécurité des travailleurs comme un critère central de l’ACV, au même titre que l’empreinte carbone.

Pour le concepteur, cela signifie qu’il faut étendre son arbitrage multicritère à la dimension sanitaire. Il est essentiel de s’informer sur la composition des produits et de rechercher des matériaux à faibles émissions pour garantir une bonne qualité de l’air intérieur. Heureusement, plusieurs certifications et labels reconnus au Canada aident à faire des choix plus sains.

  • GREENGUARD Gold : L’une des certifications les plus strictes, elle garantit de très faibles émissions de COV et d’autres produits chimiques, la rendant idéale pour les environnements sensibles comme les écoles et les établissements de santé.
  • EcoLogo : Un label canadien qui certifie qu’un produit a un impact environnemental réduit sur plusieurs aspects de son cycle de vie, y compris les aspects sanitaires.
  • FSC (Forest Stewardship Council) : Bien que principalement axée sur la gestion durable des forêts, cette certification garantit aussi le respect des droits des travailleurs et des communautés locales.
  • Normes CSA : Plusieurs normes du Groupe CSA (Association canadienne de normalisation) portent sur la santé et la sécurité des matériaux de construction.

Choisir un matériau durable, c’est donc aussi choisir un matériau sain pour ceux qui le produisent, pour ceux qui l’installent et pour ceux qui vivront à son contact pendant des décennies.

Le piège du greenwashing en construction : ces « fausses » bonnes idées écologiques à éviter absolument

Le désir de construire de manière plus durable a créé un marché fertile pour le greenwashing, ou écoblanchiment. Cette pratique consiste pour un fabricant à promouvoir son produit comme étant « écologique » en se basant sur une affirmation vague, trompeuse ou incomplète. Sans les outils de l’ACV et un esprit critique, il est facile de tomber dans le panneau de ces « fausses » bonnes idées qui semblent vertueuses en surface mais qui ne résistent pas à une analyse rigoureuse.

Le greenwashing se manifeste de plusieurs manières : mettre en avant une seule caractéristique positive (ex: « contient des matériaux recyclés ») tout en taisant les aspects négatifs (ex: un processus de fabrication très polluant) ; utiliser des termes non définis et non certifiés comme « vert » ou « naturel » ; ou encore vanter un bénéfice environnemental qui est en réalité une obligation légale. Pour le concepteur au Québec, développer des réflexes anti-greenwashing est une nécessité pour garantir l’intégrité de ses projets.

Un exemple classique, souvent cité par les experts en construction durable, illustre bien ce piège :

Le bambou est souvent vendu comme matériau ‘écologique’ sans mentionner son transport depuis l’Asie ni l’énergie grise associée à son acheminement jusqu’au Canada. De plus, les traitements chimiques nécessaires pour sa durabilité dans le climat québécois ne sont généralement pas mentionnés.

– Exemple tiré d’analyses du secteur

Cet exemple montre comment une plante à croissance rapide, intrinsèquement « verte », peut avoir un bilan environnemental final médiocre une fois que l’on applique la grille d’analyse complète de l’ACV (transport, transformation, durabilité locale). Pour se prémunir contre ces pièges, il faut adopter une démarche de transparence radicale et s’appuyer sur des faits vérifiables.

Checklist anti-greenwashing pour vos projets au Québec :

  1. Exiger une certification crédible : Cherchez systématiquement une certification tierce partie reconnue au Canada, comme EcoLogo, FSC, ou GREENGUARD. Méfiez-vous des logos « maison » créés par les fabricants eux-mêmes.
  2. Déchiffrer le vocabulaire : Soyez sceptique face aux termes vagues et non quantifiables comme « écologique », « respectueux de l’environnement » ou « durable » s’ils ne sont pas appuyés par une preuve (une EPD, une certification).
  3. Demander l’EPD/DEP : La meilleure arme contre le greenwashing est la donnée. Demandez au fournisseur la Déclaration Environnementale de Produit. Un refus ou une incapacité à la fournir est un signal d’alarme.
  4. Adopter une vision globale : Questionnez les allégations qui ne portent que sur une seule étape du cycle de vie (ex: « fait à partir de plastique recyclé »). Qu’en est-il de l’énergie de fabrication, de la durabilité et de la fin de vie ?
  5. Signaler les abus : Si vous suspectez une allégation environnementale d’être fausse ou trompeuse, vous pouvez la signaler au Bureau de la concurrence du Canada, qui encadre ces pratiques.

En définitive, la meilleure défense est l’offensive de la connaissance : en maîtrisant les principes de l’ACV, le concepteur n’a plus besoin de croire aux slogans, car il est capable de lire les faits.

À retenir

  • L’Analyse du Cycle de Vie (ACV) n’est pas une étiquette, mais une méthodologie scientifique pour évaluer l’impact complet d’un matériau, du « berceau à la tombe ».
  • L’énergie grise (production, transport) et l’intelligence de fin de vie (déconstruction, réemploi) sont deux aspects cruciaux souvent ignorés par les approches superficielles.
  • Les Déclarations Environnementales de Produit (DEP/EPD) sont l’outil objectif et standardisé qui permet aux concepteurs de comparer les matériaux sur la base de données vérifiées.

La performance écologique de votre toiture : quel matériau a le plus faible impact sur la planète ?

La question « quel est le meilleur matériau ? » est un piège. Appliquons la méthodologie ACV à un exemple concret et complexe : le choix d’un revêtement de toiture pour une maison au Québec. Le climat rigoureux de la province, avec ses cycles de gel-dégel et ses importantes charges de neige, ajoute une couche de complexité. La durabilité et la maintenance deviennent des facteurs aussi importants que l’empreinte carbone initiale.

Une analyse ACV complète nous force à effectuer un arbitrage multicritère. Un bardeau d’asphalte peut avoir un coût initial faible, mais sa durée de vie est courte et son recyclage complexe, générant une quantité importante de déchets à long terme. À l’inverse, une toiture en tôle d’acier a une énergie grise de production plus élevée, mais sa durée de vie exceptionnelle (40-60 ans) et sa recyclabilité à 100% en font un choix potentiellement plus pertinent sur le long terme. Le toit végétalisé, quant à lui, offre une excellente performance en matière de gestion des eaux de pluie et de réduction des îlots de chaleur, mais demande un entretien spécifique et une structure adaptée.

Le tableau suivant synthétise une comparaison ACV simplifiée pour différentes options de toiture, en tenant compte des spécificités du climat québécois. Il montre qu’il n’y a pas de gagnant absolu, mais un ensemble de compromis à évaluer en fonction des priorités du projet (durée, budget, impact carbone, etc.).

Comparaison ACV des options de toiture pour le climat québécois
Type de toiture Durée de vie Recyclabilité Impact carbone Adaptabilité climat Québec
Tôle d’acier 40-60 ans 100% recyclable Modéré Excellente (charge de neige)
Bardeaux d’asphalte 15-25 ans Difficile Élevé Bonne
Toit végétalisé 30-50 ans Compostable Très faible Limitée (entretien hivernal)
Membrane EPDM 20-30 ans Partiellement Modéré Bonne

De plus, l’innovation locale joue un rôle. Des entreprises québécoises travaillent sur des solutions pour réduire l’impact des matériaux traditionnels. La société Graymont, par exemple, a mis au point un ciment à plus faible teneur en carbone. De même, l’intégration de matériaux de réemploi comme le bois de grange ou la brique dans de nouveaux projets est une tendance forte qui s’inscrit dans une logique d’économie circulaire et réduit drastiquement l’empreinte du bâti.

Finalement, le « meilleur » matériau pour votre toiture au Québec sera celui qui offre le meilleur équilibre entre faible impact environnemental global, résilience face au climat, longévité et adéquation avec les objectifs spécifiques et le budget de votre projet. L’ACV ne donne pas la réponse, elle vous donne les moyens de la construire.

Construire durable au Québec : comment transformer une obligation écologique en un avantage financier majeur

Adopter une démarche rigoureuse d’Analyse du Cycle de Vie peut sembler être une contrainte supplémentaire, un coût additionnel dans un projet de construction déjà complexe. C’est une vision à court terme. En réalité, intégrer l’ACV comme un outil stratégique dès les premières phases de conception est l’un des leviers les plus puissants pour optimiser les coûts sur le long terme et transformer une obligation écologique perçue en un avantage financier tangible.

L’ACV révèle les inefficacités. Un matériau avec une énergie grise élevée est un matériau dont la production a gaspillé de l’énergie. Un bâtiment dont les composantes ne peuvent être ni réutilisées ni recyclées génère des coûts d’enfouissement futurs. En identifiant ces points faibles, l’ACV permet de réaliser des économies substantielles. Un matériau plus durable, même s’il est plus cher à l’achat, peut générer un meilleur retour sur investissement grâce à des coûts de maintenance réduits, une durée de vie prolongée et une meilleure valeur de revente du bâtiment.

Visualisation des avantages financiers de la construction durable au Québec avec retour sur investissement

Cette logique est de plus en plus soutenue par les pouvoirs publics au Québec et au Canada, qui encouragent financièrement les projets vertueux. Des subventions existent pour les bâtiments visant des certifications de haute performance (LEED, Novoclimat) et pour les initiatives d’économie circulaire. La Ville de Montréal, par exemple, a déjà déployé des programmes de financement pour soutenir ce type de projets. Choisir la durabilité n’est plus seulement un acte militant, c’est aussi une décision d’affaires avisée.

Cette convergence entre écologie et économie est au cœur de la pertinence de l’ACV, comme le résume parfaitement un expert du portail québécois Voir vert :

Compte tenu des coûts de construction d’un nouveau bâtiment, le coût de l’ACV demeure relativement abordable. Et parce que les impacts environnementaux sont, dans les faits, la conséquence d’une inefficacité à l’une ou à l’autre des étapes du cycle de vie d’un produit, les entreprises qui décident de suivre cette voie peuvent généralement réaliser des économies de coûts substantielles.

– Voir vert – Le portail du bâtiment durable au Québec, Analyse des coûts et bénéfices de l’ACV

Pour votre prochain projet, ne considérez plus l’ACV comme une dépense, mais comme un investissement. C’est l’outil qui vous permettra de construire un bâtiment non seulement plus respectueux de la planète, mais aussi plus résilient, plus performant et, en fin de compte, plus rentable.

Rédigé par Élise Bouchard, Élise Bouchard est une architecte spécialisée en conception durable et en bâtiments à haute performance énergétique depuis 12 ans. Elle est reconnue pour son approche qui allie esthétique contemporaine et principes bioclimatiques.